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Taxation des plus-values mobilières : la fin de l’exception belge ?

Par Walid Jaafari, publié le 21/08/2025 à 01h08


Une rupture fiscale historique

 

Depuis toujours, la Belgique ne taxe pas les plus-values mobilières réalisées dans le cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé. Seules sont imposées les plus-values spéculatives (33 %), celles réalisées à l’occasion de cessions, à titre onéreux, d'une participation importante à une entité étrangère (16,5 %), ainsi que les plus-values professionnelles (barème progressif culminant, trop rapidement, à 50 %).

 

Cette absence de taxation a fait de la Belgique une destination prisée, notamment des exilés fiscaux français, comme en attestent les quartiers huppés de Bruxelles (Uccle, Ixelles…). Mais ce n’est pas un cadeau : la Belgique est l’un des pays qui taxent le plus lourdement les revenus au monde, en particulier le revenu du travail, où elle se hisse à la première place du classement établi par l’OCDE.

 

L’accord de gouvernement dit « Arizona » prévoit d’en finir avec ce régime d’exception, marquant une rupture historique avec la philosophie de l’impôt belge. Ce 24 avril, un avant-projet de réforme du Code des impôts sur les revenus a fuité sur la toile. Bien qu’il ne s’agisse là que d’un document de travail devant encore être discuté, il trace déjà les contours de la future taxation. L’entrée en vigueur est annoncée pour le 1er janvier 2026.


 

Un projet de taxation qui ratisse large

 

 

L’impôt aurait un champ d’application très large. Seraient visés :

 

-        les actions et autres valeurs assimilables ;

-        les obligations et titres de créance négociables ;

-        les options sur actions ;

-        les parts d'organismes de placement collectif ;

-        les instruments du marché monétaire ;

-        les produits dérivés, y compris les options sur actions, les contrats à terme et les contrats d’échange (swaps) ;

-        les contrats d'assurance-vie et de capitalisation (branches 21, 23 et 26) ;

-        les crypto-actifs ;

-        les devises.

 

Par ailleurs, le projet de texte introduit également une taxation immédiate des plus-values latentes en cas de transfert de sa résidence fiscale hors de Belgique ou de donation d'actifs financiers à un non-résident. L'objectif de cet « exit tax » est d’éviter qu'un contribuable ne réalise sa plus-value à l'étranger après avoir transféré sa résidence ou transmis ses avoirs, échappant ainsi à toute imposition en Belgique.

 

 

Un flou sur la méthode de calcul de la plus-value

 

 

Un flou subsiste quant à la méthode de calcul de la plus-value. Pour rappel, la plus-value est la différence positive entre le prix d’acquisition d’un bien et sa valeur de réalisation. Les plus-values exprimées mais non réalisées ne sont (sauf exception) pas taxables.

 

Plusieurs méthodes sont envisagées selon les catégories d’actifs financiers :

 

-        pour les plus-values antérieures à la mise en œuvre de ce nouvel impôt, il n’y aura pas de taxation : la valeur d’acquisition des actifs financiers acquis avant l’entrée en vigueur de la réforme sera donc fictivement figée au 31 décembre 2025 ;

 

-        pour les titres cotés en bourse, le cours de clôture au 31 décembre 2025 servirait de référence, sauf si le coût d’acquisition initial est plus élevé, auquel cas cette valeur supérieure prévaudrait ;

 

-        pour les titres non cotés, trois méthodes alternatives seraient envisagées, la plus élevée des trois devra être retenue :

 

o  le prix observé lors d’une cession effectuée dans des conditions normales de marché au cours de l’année 2025 ;

o  la valorisation contractuelle prévue dans le cadre d’un accord de cession ;

o  les fonds propres de la société émettrice, majorés d’un montant équivalent à quatre fois l’EBITDA.

 

Une évaluation réalisée par un réviseur d’entreprise ou un expert-comptable certifié pourrait être admise en dérogation à cette dernière méthode.

 

Il sera également tenu compte des moins-values réalisées. Elles s’imputeront sur les plus-values réalisées sur la même période imposable. Aucun report n’est permis. Un exercice déficitaire n’ouvre donc droit à aucune économie d’impôt future, même si les pertes sont substantielles.

 

 

Taux et modalités d’imposition

 

 

Ce nouvel impôt devra trouver sa place dans le système préexistant afin de pouvoir s’articuler avec les autres régimes.

 

Le taux de base serait de 10 %, avec une exonération des premiers 5.940 € de plus-values (et non 10.000 € comme mentionné dans l’accord de gouvernement).

 

Les plus-values sur actifs détenus depuis plus de dix ans seraient totalement exonérées.

 

Pour les participations substantielles (au moins 20 % des droits dans une société, en tenant compte des liens familiaux jusqu’au quatrième degré), un barème progressif serait instauré :

 

-        exonération jusqu’à 600.000 € ;

-        imposition à 1,25 % entre 600.000 et 1.500.000 euros ;

-        à 2,5 % entre 1.500.000 et 2.950.000 euros ;

-        à 5 % entre 2.950.000 et 6.000.000 euros ;

-        et enfin à 10 % au-delà de 6.000.000 euros.

 

Les plus-values internes sont quant à elles soumises à un régime spécifique : les cessions d’actifs financiers à une société contrôlée directement ou indirectement par le cédant ou par des membres de sa famille jusqu’au deuxième degré seraient taxées à 33 %, indépendamment de leur montant. Cette mesure risque de freiner les opérations de réorganisation patrimoniale intra-familiale.

 

 

Un prélèvement de la taxe à charge des intermédiaires financiers

 

 

L’impôt serait perçu par les intermédiaires financiers établis en Belgique, selon un mécanisme comparable à celui du précompte mobilier. Les exonérations devraient être demandées via la déclaration à l’impôt des personnes physiques.

 

 

Suppression de la taxe Reynders

 

 

Dans un souci de simplification et de cohérence, le projet prévoit également la suppression de la taxe Reynders (article 19bis du CIR), supprimant ainsi la taxe sur les plus-values sur des fonds d’investissement et évitant les maux de tête liés à son interaction avec la nouvelle taxe.


Conclusion

 

La Belgique s’apprête à rompre avec la philosophie de l’impôt qui a prévalu jusqu’alors, en taxant les plus-values mobilières issues de la gestion normale du patrimoine privé.

 

De nombreuses zones d’ombre subsistent dans le projet de texte soumis au gouvernement, et presque tout reste à débattre. Il n’a pas encore été transmis à la section de législation du Conseil d’État.

 

Au moment où j’écris ces lignes, rien n’est arrêté.

 

Il faudra attendre le dépôt officiel du texte au Parlement, puis voir si la loi qui sera votée résistera à l’épreuve du contrôle de constitutionnalité (notamment en raison de la différence de traitement en fonction de l’importance de la participation).

 

 


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