Introduction
Depuis le 5 février 2024, une brèche s’est refermée dans le Code pénal belge. Jusqu’alors, les tiers à une fraude fiscale simple pouvaient passer entre les mailles du filet, échappant aux poursuites pour blanchiment. Ce n’est désormais plus le cas. Les règles ont changé, tout comme les risques, notamment pour les professionnels soumis au volet préventif de la loi anti-blanchiment.
1. La redéfinition du blanchiment
Le blanchiment de capitaux, tel que défini à l'article 505 du Code pénal, vise trois types de comportements :
1) Le blanchiment par détention (recel élargi) : cela vise toute personne qui achète, reçoit, possède ou gère des biens provenant d'une infraction, en ayant connaissance de leur origine illicite (art. 505, al. 1, 2° du Code pénal). Sont notamment visées la donation et l’acceptation de la succession ;
2) Le blanchiment par transformation : concerne ceux qui convertissent ou transfèrent des biens d’origine criminelle en connaissance de leur origine illicite et dans le but de masquer leur provenance ou d’aider l’auteur de l’infraction principale à échapper aux conséquences juridiques (art. 505, al. 1, 3°). Sont notamment visés le change de devise et le transfert d’avantages patrimoniaux ;
3) Le blanchiment par dissimulation : réprime toute action visant à cacher ou déguiser la nature, l’origine, l’emplacement, la disposition ou la propriété des biens issus d’une infraction (art. 505, al. 1, 4°). Ce comportement doit avoir été réalisé en connaissance de l’origine illicite des biens. Sont notamment visés ici le faux en écriture, l’utilisation de prête-noms, d’hommes de paille ou de sociétés écran.
Le blanchiment suppose donc la commission d’une infraction sous-jacente qui génère des avantages patrimoniaux illicites. Lorsque l’infraction sous-jacente consistait en une infraction fiscale, les paragraphes 3 et 4 de la loi prévoyaient un régime particulier.
En effet, si le blanchiment par détention (art. 505, al. 1, 2° du Code pénal) ou dissimulation (art. 505, al. 1, 4°) était le fait de tiers et que l’infraction sous-jacente était une fraude fiscale simple, aucune poursuite n’était engagée.
Cette tolérance du législateur était avant tout une manière de protéger les banques contre le risque de gérer des patrimoines dont la régularité fiscale pouvait prêter à débat.
Les particuliers bénéficiant du produit d’une fraude fiscale, par un don ou un héritage, échappaient ainsi aux poursuites pour blanchiment.
Pour les tiers soumis au volet préventif de la loi anti-blanchiment, comme les institutions financières, les notaires, les avocats et d'autres intermédiaires soumis aux obligations de vigilance prévues par la loi du 18 septembre 2017, l’exception de poursuite était possible, mais elle était conditionnée à un respect des obligations de vigilance et de dénonciation prévues par la législation anti-blanchiment. Cette disposition avait fait couler beaucoup d’encre, car l’obligation de dénonciation n’existe que pour les infractions de fraude fiscale grave. Or, il s’agit ici de se prémunir d’une poursuite pour blanchiment dont l’infraction de base est une fraude fiscale simple…
C’est précisément ces paragraphes que la loi du 18 janvier 2024 a modifiés pour supprimer l’exception de poursuite des tiers lorsque l’infraction de base est une fraude fiscale simple, quel que soit le tiers concerné.
Désormais, un bénéficiaire d’un don ou d’un héritage contenant des fonds issus d’une fraude fiscale simple peut être considéré comme blanchisseur. De même, toute action visant à masquer ou dissimuler ces fonds devient punissable, quelle que soit la gravité de l’infraction fiscale sous-jacente.
En revanche, les entités soumises au volet préventif de la loi anti-blanchiment peuvent encore bénéficier d'une cause d'excuse absolutoire sous certaines conditions.
2. Une exemption limitée aux professionnels
Si la suppression de l'exception pour fraude fiscale simple concerne l'ensemble des tiers, une cause d'excuse absolutoire spécifique a été instaurée en faveur des entités soumises à la législation préventive du blanchiment.
Sous sa nouvelle mouture, l’article 505 du Code pénal prévoit que ces professionnels pourront bénéficier d'une exemption de peine « dans la mesure où, en ce qui concerne les faits concernés commis dans le cadre de la fraude fiscale autre que la fraude fiscale grave, organisée ou non, ils se sont conformés à la législation et à la réglementation en matière de lutte contre la fraude fiscale y compris celles découlant de la loi du 18 septembre 2017 ».
La volonté du législateur est d’aligner la loi belge sur les directives européennes en élargissant la liste des infractions sous-jacentes soumises au dispositif préventif. Pour cela, une formulation large a été adoptée, accordant au juge une grande marge d’appréciation pour contrôler le respect des obligations légales des professionnels.
3. L'aggravation des sanctions pour les professionnels
Si les entités assujetties disposent d'une porte de sortie par le biais de la cause d'excuse absolutoire, mieux vaut ne pas s’y méprendre.
Le nouvel article 505 ter du Code pénal frappe fort. Le professionnel assujetti au dispositif préventif encourt désormais de 3 à 5 ans d’emprisonnement, là où il risquait autrefois une peine de 15 jours à 5 ans. L’amende, elle, grimpe entre 10.000 et 200.000 €, au lieu des 26 à 100.000 €, et toujours à multiplier par les décimes.
Conclusion
Avec ce changement de texte, la Belgique durcit son arsenal répressif en supprimant l’exception pour fraude fiscale simple. Désormais, même un don ou un héritage issu d’une telle fraude peut entraîner des poursuites pour blanchiment.
Les professionnels assujettis au volet préventif de la loi anti-blanchiment ne sont pas épargnés. S’ils conservent la possibilité d’invoquer une cause d’excuse absolutoire, encore faut-il qu’ils démontrent le respect d’obligations légales rédigées en des termes larges. Ce qui ne manque pas de générer une certaine insécurité juridique, d’autant plus que le nouvel article 505 ter du Code pénal prévoit des sanctions nettement plus lourdes. Reste à voir comment le juge pénal exercera sa marge d’appréciation…
Par ailleurs, nous déplorons les effets pervers de cette réforme sur l'accès aux services bancaires pour de nombreux citoyens et entreprises.
Les règles ont évolué, les sanctions se sont renforcées : veillez à votre conformité. Contactez- nous en cas de difficulté.
Walid Jaafari